Les incertitudes liées au commerce, l’envolée de la dette publique et la confiance vacillante dans l’exceptionnalisme américain continuent de peser sur les actifs américains, dont le dollar fait les frais. Les investisseurs anticipent une nouvelle perte d’éclat de la devise, qui revient sur terre après avoir atteint des sommets de valorisation.
La salve de droits de douane lancée cette année par l’administration Trump a incité les investisseurs à réduire leur exposition aux actifs américains après une longue période de surperformance. Si le billet vert s’est quelque peu stabilisé lors des dernières séances, profitant d’une trêve dans la guerre commerciale sino-américaine, il a de nouveau subi des pressions vendeuses après que l’agence de notation Moody’s a abaissé d’un cran la note souveraine des États-Unis, jusque-là irréprochable.
« Il y a encore beaucoup de marge pour une nouvelle dépréciation, rien qu’en termes de valorisation », estime George Vessey, stratège en chef FX et macroéconomie chez Convera. Le thème du « sell America » est revenu sur le devant de la scène après la dégradation de la note américaine par Moody’s, ajoute-t-il.
L’indice du dollar américain a chuté de 10,6 % par rapport à ses sommets de janvier, l’un des reculs les plus marqués sur une période de trois mois. Les spéculateurs sont désormais vendeurs nets du dollar à hauteur de 17,32 milliards de dollars, soit une position proche du plus haut niveau baissier enregistré depuis juillet 2023, selon les données de la CFTC.
Une partie de la défiance à l’égard du dollar s’explique par sa valorisation jugée excessive : en janvier, il s’échangeait jusqu’à 22 % au-dessus de sa moyenne sur 20 ans (90,1) selon l’indice du dollar. Actuellement, l’indice évolue environ 10 % au-dessus de ce niveau moyen.
Il existe donc une marge de baisse supplémentaire significative : une nouvelle chute de 10 % ramènerait le dollar vers les plus bas atteints lors du premier mandat de Donald Trump.
INQUIÉTUDES À LONG TERME
Depuis des années, investisseurs et stratèges jugent le dollar surévalué, mais parier contre la devise s’est souvent révélé coûteux, l’économie américaine continuant de tourner à plein régime. Cette dynamique pourrait toutefois s’inverser.
Steve Englander, responsable mondial de la recherche FX G10 chez Standard Chartered à New York, estime que les récents accords commerciaux pourraient apaiser quelque peu les marchés, mais ne règlent pas les problèmes de confiance à long terme auxquels sont confrontés les États-Unis.
« L’histoire de la faiblesse du dollar n’est pas terminée », affirme Englander.
Les investisseurs s’inquiètent également de la trajectoire budgétaire américaine à long terme. Selon les analystes, la vaste réforme fiscale de Trump pourrait alourdir la dette américaine de 3 000 à 5 000 milliards de dollars supplémentaires sur la prochaine décennie, portant le total à 36,2 000 milliards de dollars.
« La combinaison d’un appétit diminué pour les actifs américains et de la rigidité du processus budgétaire, qui fige des déficits très élevés, inquiète fortement le marché », écrit George Saravelos, responsable mondial de la recherche FX chez Deutsche Bank, dans une note.
L’administration Trump affirme soutenir une politique de dollar fort.
« Le président Trump a été parfaitement clair sur la nécessité de maintenir la force et la puissance du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale », a déclaré Kush Desai, porte-parole de la Maison-Blanche.
DÉTENTIONS ÉTRANGÈRES
Malgré les récentes ventes étrangères, la valorisation des actifs américains ces dernières années fait que le monde détient encore des milliers de milliards de dollars en actions et obligations américaines.
Selon les investisseurs, la pression vendeuse pourrait venir de différents horizons alors que de plus en plus d’acteurs s’interrogent sur le récent échec du dollar à jouer son rôle de valeur refuge.
« C’est ce qui a vraiment provoqué un électrochoc… Les gens se demandent : “Si le dollar n’agit plus comme une monnaie refuge, s’il ne nous diversifie plus, devons-nous vraiment en détenir autant ?” », analyse Peter Vassallo, gérant de portefeuille FX chez BNP Paribas Asset Management.
Colin Graham, responsable des stratégies multi-actifs chez Robeco à Londres, souligne toutefois que si une réallocation des portefeuilles visant à réduire le risque a bien eu lieu, « cela ne s’est pas encore traduit par des ventes massives de dollars, d’actifs ou de bons du Trésor pour rapatrier des fonds ». Mais cela pourrait encore arriver, prévient-il.
RISQUE NON COUVERT
La force du dollar sur la dernière décennie a permis aux investisseurs de détenir des actifs américains sans trop se soucier du risque de change.
Avec des détentions étrangères d’actifs américains estimées à plusieurs milliers de milliards de dollars, même une légère hausse des ratios de couverture — la part de l’exposition en devises étrangères protégée par des instruments financiers — pourrait entraîner d’importantes ventes de dollars.
L’augmentation de la couverture par les investisseurs réduit la demande directe de dollars et accentue la pression vendeuse sur les marchés à terme.
Les économies asiatiques, dont la Chine, la Corée du Sud, Singapour et Taïwan, ont accumulé d’importantes réserves en dollars américains après des décennies d’investissement de leurs excédents commerciaux dans les actifs américains.
La flambée inédite du dollar taïwanais pendant deux jours début mai a montré aux investisseurs à quel point une ruée hors du dollar pouvait secouer les marchés.
Stephen Jen et Joana Freire d’Eurizon SLJ Capital estiment, dans une note publiée début mai, que les réserves en dollars d’environ 2,5 000 milliards de dollars détenues par les exportateurs et investisseurs institutionnels asiatiques « font peser des risques baissiers importants sur le dollar face à ces devises asiatiques ».
Un argument à l’encontre du scénario baissier pour le dollar réside toutefois dans la résilience de l’économie américaine.
Si la croissance économique venait à surprendre à la hausse, la Réserve fédérale pourrait maintenir ses taux plus longtemps, soutenant ainsi le billet vert.
Jack McIntyre, gérant de portefeuille chez Brandywine Global, note que les consommateurs américains restent solides malgré les paris sur un affaiblissement de la devise. Pourtant, lui et d’autres investisseurs préfèrent vendre le dollar lors de ses rebonds plutôt que de miser sur une reprise durable.
« Le scénario actuel consiste davantage à chercher des opportunités de vendre le dollar sur ses points hauts », conclut McIntyre.