La politique économique chaotique de Donald Trump fragilise le billet vert. Sur le marché des changes, l’euro/dollar s’est replié de 9,4 % depuis son investiture, passant de 1,0414, le 20 janvier, à 1,1396 dollar, le 15 avril. L’indice du dollar DYX, qui mesure sa valeur par rapport à un panier de six grandes devises, a reculé de 109,35 à 100,10 sur la même période.
Cette baisse devrait ravir le président américain et son administration, persuadés qu’un dollar trop fort est l’une des causes des déséquilibres économiques dont souffrent les Etats-Unis. Stephen Miran, grand architecte de la politique économique de Donald Trump, plaidait ainsi en novembre pour une dépréciation du dollar, arguant que sa surévaluation persistante rendait les exportations moins compétitives, les importations moins chères et handicapait l’industrie manufacturière domestique.
« Une baisse du dollar renforcerait fortement la compétitivité des exportations américaines et générerait un surcroît de croissance », confirme Benoît Gérard, stratégiste taux chez Natixis CIB. Par exemple, avec une parité euro/dollar de 1, un produit américain coûtant 100 dollars est vendu 100 euros en Europe. Si le dollar se déprécie à 1,20, ce produit est vendu à prix plus compétitif de 83,33 euros.
La vigueur persistante du dollar est souvent vue, outre-Atlantique, comme un facteur aggravant du déclin industriel amorcé dans les années 2000.
« La désindustrialisation des Etats-Unis est surtout liée à l’industrialisation rapide de la Chine. En développant une stratégie de croissance axée sur la demande externe et les exportations, la puissance asiatique a déstabilisé le commerce mondial et déplacé les industries hors du territoire américain, tempère Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Mais il est vrai que le dollar fort a indirectement soutenu cette évolution. »
« La baisse du dollar, assortie aux tarifs douaniers, a pour but d’infléchir la taille du déficit extérieur, en renchérissant les importations. L’idée est d’inciter les entreprises à s’installer aux Etats-Unis », souligne Philippe Waechter, chef économiste d’Ostrum AM, une entreprise de gestion d’actifs financiers.
Le déficit commercial (écart entre importations et exportations) s’élevait à 122,7 milliards de dollars en février. Plusieurs outils peuvent être utilisés pour affaiblir une monnaie, au premier rang desquels figure la politique monétaire, comme en témoignent les appels répétés de Donald Trump à Jerome Powell, président de la banque centrale américaine (Fed), à baisser ses taux directeurs. Une telle décision réduit la rentabilité des placements en dollars, diminue l’attrait de la monnaie pour les investisseurs étrangers et contribue ainsi à sa dépréciation.
Pressions sur la Fed
Pour le moment, la Fed n’a pas cédé aux pressions du président américain, maintenant ses taux entre 4,25 % et 4,50 % en mars. La banque centrale américaine reste une institution indépendante du pouvoir exécutif, même si Donald Trump se montre de plus en plus pressant.
Sur le fond, la hausse des droits de douane décidée par le président américain, qui crée de l’inflation, rend la baisse des taux compliquée car un resserrement monétaire est nécessaire pour lutter contre l’inflation. Les Etats-Unis peuvent intervenir sur les marchés des devises via le Fonds de stabilisation des changes. Mais sa taille (40 milliards de dollars) est trop limitée pour avoir une influence significative.
Les banques centrales ne peuvent plus agir ensemble, étant tributaires des négociations tarifaires bilatérales que leur pays va mener avec Washington
En novembre, Stephen Miran avait évoqué l’idée de signer des multilatéraux dits « de Mar-a-Lago » (du nom de la résidence de Donald Trump située en Floride), par analogie aux accords du Plaza de 1985 où plusieurs grandes économies avaient accepté de se coordonner pour dévaluer le dollar.
« On peut imaginer des négociations où les Etats-Unis, lors des discussions commerciales, inciteraient certains pays à acheter américain tout en intervenant sur les marchés pour faire baisser le dollar », suppute Charles-Henri Colombier, directeur du pôle conjoncture et perspectives de Rexecode, un think tank proche du patronat.
Quant à une coordination internationale des banques centrales, comme cela a été le cas après les accords du Plaza, elle paraît aujourd’hui très hypothétique aux yeux de Philippe Waechter, qui estime que celles-ci ne peuvent plus agir ensemble, étant tributaires des négociations tarifaires bilatérales que leur pays de rattachement va mener avec Washington.
Le dollar reste la principale monnaie de réserve mondiale
Les Etats-Unis devront également composer avec une contradiction : la dépréciation du dollar, qui réduit le rendement et l’attractivité des bons du Trésor américains, et complique le refinancement d’une dette qui avoisine les 36 000 milliards de dollars. Un désengagement des investisseurs et créanciers étrangers fragiliserait des finances publiques déjà sous pression. C’est sans doute ce qui a poussé Washington à amorcer une stratégie de redressement budgétaire, combinant coupes drastiques et hausse des recettes douanières.
On l’a vu, Donald Trump veut faire baisser le dollar… et il y est déjà parvenu ces dernières semaines. Un succès pour le président américain ? Non, estime Xavier Ragot. Cette baisse a en effet pris le pire chemin :
« En semant l’incertitude, Donald Trump affaiblit les Etats-Unis et alimente la récession. Sa politique brutale, sans vision économique claire, inquiète plus que la chute des marchés. Si le dollar vacille, c’est l’ordre mondial qui est en péril. »
Le greenback (surnom du dollar) reste en effet la principale monnaie de réserve mondiale. Certes, sa part est passée de 70 % à 60 % en 25 ans dans les réserves de change des banques centrales. Mais il reste incontournable dans la plupart des échanges mondiaux.
La Chine a les moyens de répliquer
Le billet vert peut-il encore baisser ? « Le dollar est encore éloigné de son taux de change d’équilibre théorique et pourrait se déprécier jusqu’à 1,30 à 1,40 dollar pour un euro », note Charles-Henri Colombier. L’évolution historique de l’indice DYX indique en effet que le billet vert reste élevé. On peut imaginer qu’il retrouve ses niveaux de 2010-2014, où la parité euro/dollar oscillait entre 1,20 et 1,49, ce qui constituerait une baisse de l’ordre de 30 % par rapport à la situation actuelle.
Les pays dépendants des exportations vers les Etats-Unis tels que l’Allemagne ou le Vietnam, verraient leur compétitivité dégradée
Les conséquences économiques d’une telle dévaluation sont potentiellement importantes. Pour les Etats-Unis, elle pourrait se traduire par une inflation pour les consommateurs et les entreprises, un ralentissement de la consommation intérieure et un recul des importations. Les partenaires commerciaux du pays de l’Oncle Sam seraient eux aussi touchés. Les pays dépendants des exportations vers les Etats-Unis tels que l’Allemagne en Europe ou le Vietnam en Asie, verraient leur compétitivité dégradée et auraient plus de mal à y écouler leurs produits.
De son côté, la Chine a, sur le papier, la capacité de réagir rapidement aux fluctuations du dollar américain grâce à sa politique du change. La banque centrale chinoise fixe chaque jour un taux de référence autour duquel le yuan peut évoluer dans une marge de 2 %, ce qui lui permet d’ajuster le niveau de sa devise selon les conditions de marché et préserver la compétitivité de ses exportations.